LES MONSTRES N’EXISTENT PAS, photographies de Camille Gharbi

Ce travail photographique est une réflexion sur la violence intrafamiliale, du point de
vue de leurs auteurs.
Il s’agit d’une tentative de compréhension des mécanismes qui mènent aux passages
à l’acte, pour mieux les prévenir.
Sur la période 2011–2018, on estime à 295 000 le nombre de personnes victimes de
violences physiques et/ou sexuelles au sein du couple, selon les chiffres du ministère
de l’Intérieur. Environ 213 000 de ces personnes, soit 72 %, sont des femmes. Ces
chiffres nous parlent du nombre de victimes de violences, mais aussi de leurs auteurs,
et, dans une moindre mesure, de leurs autrices. La lutte contre les violences conjugales
passe par la protection des victimes, mais également par la prise en charge de leurs
agresseurs, qui est la clé de voûte en matière de prévention des passages à l’acte ou de
la récidive.
Sans rien excuser ni minimiser, ce travail met en lumière des auteurs et des autrices
d’actes violents au sein de leur couple, qui sont incarcérés pour les faits qu’ils ou elles
ont commis, et qui sont engagés dans une démarche de réflexion par rapport à leurs
actes. En faisant face à leurs responsabilités, en s’exprimant sur leurs gestes, ces
individus peuvent contribuer à la prévention des faits pour lesquels ils ou elles sont
condamnés.
À travers eux, c’est notre société tout entière qui doit faire face à sa propre violence.
Les conjoints violents ne sont pas des ‘monstres’ vivant à la marge, mais des êtres
humains souvent bien intégrés à la société dans laquelle ils évoluent. Leurs actes
nous parlent de notre monde, de sa brutalité, de son injustice. Ils nous parlent de la
complexité et de l’ambivalence de la nature humaine, à laquelle il est nécessaire de se
confronter pour tenter d’endiguer ces crimes. Ils sont au centre de la déconstruction
du cycle de la violence au sein du couple.
Leurs silhouettes, tellement banales, nous rappellent que ces passages à l’acte sont
perpétrés par des personnes issues de toutes les strates de la société. Les histoires
qu’ils nous livrent, individuelles et spécifiques, s’ancrent dans des problématiques
sociales plus larges, qui nous concernent tous et toutes.
Camille Gharbi est une photographe et artiste visuelle française.
Sa pratique artistique porte sur des problématiques sociales contemporaines suivies
au long cours, dont les violences de genre, la justice sociale, le vivre ensemble. Son
travail se construit sur un équilibre entre deux échelles : les histoires singulières et
spécifiques sont articulées à l’histoire globale et collective, afin de faire émerger
la construction du fait social. Entre photographie documentaire et plasticienne, sa
démarche interroge l’état du monde en jouant sur la distance et l’esthétique afin de
convoquer l’empathie et le sensible.
Considérant l’art comme un vecteur de transformation sociale, son travail emmène
vers une politisation du regard, par l’intime et le subjectif.
En parallèle de sa démarche artistique, elle travaille en commande dans les domaines
de la photographie d’architecture, de presse (Le Monde), et du portrait.
Grâce au soutien de l’administration pénitentiaire, j’ai pu rencontrer dans des
parloirs ou en détention une dizaine de détenus engagés dans une démarche de
responsabilisation par rapport à leurs actes et volontaires pour participer à ce projet.
Je les ai interrogés sur le regard qu’ils portaient sur ce qu’ils ont fait, la manière
dont ils comprenaient comment ils en étaient arrivés là, les stratégies qu’ils pensaient
mettre en place pour ne pas récidiver. J’ai enregistré puis retranscris ces échanges
en un témoignage à la première personne, un récit introspectif sur la construction de
leur violence.
A la suite de ces entretiens individuels, j’ai réalisé de chacun d’eux un portrait, de
trois-quarts dos pour la plupart, dont l’intention est de représenter sans dévoiler, pour
des raisons évidentes d’anonymat et de décence.
Des portraits en creux, qui font appel à l’imagination et s’appuient sur le pouvoir de
la suggestion plus que celui de la représentation. Des émotions mises en images,
exprimées par les auteurs et autrice lors des entretiens, viennent ponctuer les
témoignages et les portraits, dans une invitation à la réflexion.
Les mécanismes qui conduisent aux violences conjugales sont complexes, mais pas
inéluctables.
Pour que les choses changent, il est nécessaire de les regarder en face.
Camille Gharbi

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